Endoloris

Le parcours de Mathilde, co-fondatrice de Endoloris

Parcours de Mathilde, co-fondatrice de Endoloris, guide pour mieux vivre avec l'endométriose

 

Le parcours de Mathilde, co-fondatrice de Endoloris, le guide pour mieux vivre avec l'endométriose. 

 

Le début des emmerdes

Mon histoire d'endométriose commence en mai 2019, à mon retour de quatre mois de stage au Portugal. Bien que mes règles aient toujours été douloureuses et qu’on ne m’ait jamais avertie que cela n’était pas “normal”, mes menstruations deviennent de plus en plus invalidantes, de l’ordre de l’insupportable. Insupportable parce qu'une après-midi je songe à un déni de grossesse dont l’accouchement est imminent, parce que je me contorsionne dans mon lit cherchant désespérément la meilleure position pour soulager les décharges électriques qui semblent se propager dans ma zone pelvienne, parce que je ne parviens plus à mener une simple conversation.  

Je me contorsionne dans mon lit cherchant désespérément la meilleure position pour soulager les décharges électriques qui semblent se propager dans ma zone pelvienne.

Comme toute bonne millennial, j’entreprends des recherches approfondies sur Google. Elles m’amènent tout d’abord sur la piste de différentes pathologies gynécologiques et hormonales dont le trouble dysmorphique prémenstruel (TDPM) et le syndrome des ovaires micropolykystiques (SOPK), qui m’affecte depuis deux ans alors. Arrive ensuite l’hypothèse de l’endométriose. A cette période, la maladie commence à sortir de l’ombre. On retrouve de nombreux témoignages de personnalités publiques comme Enora Malagré, Laetita Millot, Tia Mowry, Imany, Lena Dunham ou encore Maud Bettina-Marie. Soulagée, je me reconnais dans ces témoignages, ces symptômes et ces douleurs. 

 

IRM décevante 

Je prends rapidement contact avec ma gynécologue qui accepte de réaliser une IRM pour exclure l’endométriose en août 2019. Les résultats de l’IRM reviennent négatifs pour l’endométriose. Je suis profondément déçue. J’étais persuadée d’avoir posé un mal sur mes maux. Si ce n’est pas l’endométriose qui me bouffe de l’intérieur, alors c’est quoi ? 

 

SOPK et suspicion d’endométriose 

Fin septembre, j’ai rendez-vous à Mons chez un gynécologue spécialiste du SOPK qui valide le diagnostic. Bien que le SOPK soit un désordre endocrinien très courant, il est rare qu’un.e gynécologue en explique tous les tenants et aboutissants. Il m’explique alors que le SOPK peut mener à du diabète de type 2, la maladie du foie gras, de la dépression, des problèmes d’infertilité, de l’hirsutisme, ou encore à de l’acné. Il me recommande de réaliser le test du triangle qui permet de mesurer la glycémie et vérifier une potentielle résistance à l’insuline. Pendant ce rendez-vous, il me pose également d’autres questions au sujet de mes règles et de mon cycle en général. Il soupçonne l'endométriose, et aussitôt, je me sens à nouveau légitime d’y croire, j’ai espoir de la coincer cette fois. Je contacte alors un gynécologue spécialisé en endométriose que je rencontre deux jours avant Noël 2019 aux cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles. 


Dépression et compagnie

Mes santés physiques et mentales se dégradent sévèrement. Mon médecin généraliste me prescrit des antidépresseurs début octobre. Je suis réticente à cette idée, mais c’est peut-être le seul moyen pour enrayer la dépression qui m’accompagne depuis près de cinq mois, donc j’accepte le traitement. Tout se mélange : dépression, SOPK, probable endométriose. Tout cela fait beaucoup d’hypothèses mais peu de réponses. Je suis perdue, dépassée.

Tout cela fait beaucoup d’hypothèses mais peu de réponses. Je suis perdue, dépassée.

Je souffre également de carences alimentaires importantes qui affectent mon fonctionnement cognitif. Une naturopathe me prescrit entre autres des cures de vitamine D, de vitamine B12, d’oméga 3, de zinc et de fer. C’est là que je prends 40 ans dans la gueule en craquant sur un magnifique pilulier coloré pour ne jamais les oublier (ce qui m’arrive pourtant toutes les semaines). Quarante ans aussi parce qu’avec tout ça, ma mémoire déraille. C’est le fameux symptôme du brain fog, également appelé le “brouillard mental”, qui se caractérise par l’oubli de notions simples comme ce jour où j’étais incapable de me rappeler le terme “fourchette” en la désignant. Il m’arrive aussi de ne pas me souvenir de ce que j’ai fait la veille. Je commence à avoir peur, peur que quelque chose de très grave me dévore sans savoir quoi. Je m’affaiblis de plus en plus.

 

Endocrinologue, sexisme et paternalisme

Quelques semaines plus tard, je consulte un endocrinologue, praticien aux cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles. Ce rendez-vous est celui de tous mes espoirs et de cette vertu qu’est la patience car il m’aura fallu attendre près de quatre mois avant de l’obtenir. Cette visite ne se déroule pas du tout comme je l’avais imaginée. L’endocrinologue examine les résultats du test du triangle et de quelques-unes de mes prises de sang, et estime qu’il n’y a rien d’alarmant. C’est une nouvelle déception. Cette fois, je suis en colère. Je sens que mon corps part en vrille. Je sais qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Pourtant, rien n'est visible, personne ne me croit.

Je sens que mon corps part en vrille. Je sais qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Pourtant, rien n'est visible, personne ne me croit.

Cerise sur le gâteau : je fais face à ma première véritable expérience de medical gaslighting. Le praticien clôture notre consultation sur une note sexiste et paternaliste :  “Vous savez, pour le SOPK, il existe des solutions esthétiques pour retirer l'excédent de poils. Et en ce qui concerne la pilule, c’est un peu comme trouver chaussure à son pied. Et ne vous inquiétez pas, vous perdrez vos petits kilos en trop.”. Je rentre chez moi avec une nouvelle pilule et une ordonnance de Metformax, un médicament prescrit aux diabétiques de type 2, et quelques précieux conseils de la part d’un vieux con qui réduit mes douleurs et symptômes à des caprices esthétiques. 

 

Rencontre avec le Grinch 

Noël approche. Mon rendez-vous tant attendu chez un gynécologue spécialiste de l’endométriose est enfin arrivé. Je n’ai lu que de bonnes choses à son sujet : humain, bienveillant, gentil. Bref, que des louanges à l’égard du praticien. Et pourtant, je sors de cette consultation aussi perdue et perplexe que je ne l'étais ! Le gynécologue a du retard. Je suis agacée. Après 45 minutes d’attente, je rentre enfin dans le cabinet où je m’entretiens une dizaine de minutes avec son assistante, seule à seule. Je suis surprise par l'absence du spécialiste. Elle quitte ensuite le cabinet pour lui transmettre mes informations. Pendant ce temps-là (environ 10 minutes), je patiente cul nu sur ma chaise. Je suis estomaquée d'être traitée de la sorte. Le gynécologue fait une apparition brève et remarquée puisqu’il ne prend que cinq minutes pour m’examiner, me prescrire une autre pilule et donner son opinion médicale sur mon cas : “Puisqu’on ne voit rien à l’IRM, ça ne doit pas être bien grave. On ne va pas vous opérer pour rien Madame. Une opération reste un geste invasif”.

"On ne va pas vous opérer pour rien, Madame. Une opération reste un geste invasif."

Un discours qui me révulse parce que grâce à mes recherches, je sais qu’une opération est le seul moyen fiable à 100% de poser le diagnostic de l’endométriose. Une fois de plus, j’ai l’impression d’avoir perdu mon temps. Sans surprise, la pilule prescrite ne me convient pas. Je l’arrête aussitôt. Je me lance dans de nouvelles recherches et je prends rendez-vous auprès d’un quatrième médecin, une gynécologue spécialiste et encensée elle aussi, basée à Liège. La consultation est fixée le 3 mars 2020. 

 

Le vrai visage de ma douleur 

Les semaines précédant ce nouveau rendez-vous, j’ai l’impression que je retrouve mes esprits grâce à mes cures de compléments alimentaires, mais mes douleurs pelviennes deviennent chroniques. J’ai du mal à marcher, à rester assise. Mes règles sont un véritable enfer. Je me sens diminuée, épuisée. Certains soirs, je ne parviens pas à m’endormir tellement la douleur est forte, j’ai l’impression de délirer. Parfois, elle me réveille en pleine nuit.

J’ai l’impression de vivre dans le corps d’une personne âgée.

J’use de tous mes trucs et astuces collectés au fur et à mesure de mes lectures pour me soulager comme je peux, mais mon corps est trop fatigué. Faire à manger et ranger mon appartement me demande toute mon énergie. Parfois, je n’ai même pas la force de me doucher. J’ai l’impression de vivre dans le corps d’une personne âgée. Sortir me promener devient un vrai calcul “coûts / bénéfices” : mentalement, je sais que ça va me faire du bien, mais physiquement, je sais que je le paierai cher. Cette période est accompagnée d’un sentiment de dualité : “ne pas laisser la maladie déterminer ma vie” vs. “me reposer et prendre soin de moi”, et il m'accompagne toujours aujourd'hui.

 

Serai-je diplômée ? 

Mentalement, c’est très dur d’être prise entre ces deux injonctions. Surtout qu’à ce moment-là, il y a un enjeu de taille dans ma vie : finir mes études et décrocher mon diplôme. Il ne me reste que mon mémoire à clôturer, et le temps vient à me manquer. J’ai peur de ne pas obtenir mon master. Ce diplôme représente un rêve de longue date. J’ai beaucoup travaillé pour cela, et je mérite que mes efforts soient récompensés. N’ayant toujours pas de diagnostic officiel à ce stade, je ne me sens pas légitime de me plaindre et de ne pas consacrer tout mon temps à mes études. 

 

Soulagement et perspectives d'avenir  

Le 3 mars arrive enfin. Je m’apprête à rencontrer la femme qui m’a enfin écoutée, une gynécologue spécialiste de l’endométriose, pionnière dans son domaine. Désormais habituée aux rapports déséquilibrés qui peuvent exister entre patient.e.s et médecins, je me présente avec une longue liste de questions, et surtout avec la détermination de subir une laparoscopie le plus vite possible. Il est impensable pour moi de sortir de cette consultation sans une date d'opération.

Il est impensable pour moi de sortir de cette consultation sans une date d'opération.

Nous discutons de mon cas médical, de mes symptômes. Elle réalise un examen vaginal. Je me sens entendue, considérée, légitime. Surtout quand elle m’explique : “Rester clouée au lit pendant ses règles, ce n’est pas normal. Je pense que le mieux est de prévoir une laparoscopie exploratrice pour vérifier le diagnostic. Je suis pratiquement certaine que je trouverai des lésions d'endométriose, sans qu’elles soient pour autant nombreuses”. L’opération est fixée le 29 avril 2020 (bien qu’elle sera reportée au 9 juin à cause de la crise sanitaire). Je quitte le cabinet soulagée et satisfaite.

 

Des lames de rasoir dans l'anus 

Le Covid ruine ma joie et accentue mes incertitudes, mon impatience. Entre-temps, de nouveaux symptômes apparaissent : j’observe du sang dans mes selles et j’ai l’impression que des lames de rasoir me déchirent le rectum à chacun de mes passages aux toilettes. Je ne parviens pas à rester assise ou à marcher après la défécation.  Après avoir essayé quelques pommades et suppositoires sans succès, je consulte un gastro-entérologue. Les hypothèses de départ sont des hémorroïdes ou une fissure anale. Suite à un examen rapide de mon rectum, ces hypothèses s’annulent. Je découvre que ce nouveau symptôme peut faire partie des conséquences de l’endométriose digestive. J’en avertis ma gynécologue.

 

Test PCR et pré-op 

Quelques jours avant mon opération, je me rends à l'hôpital pour effectuer un test PCR et j’organise déjà ma convalescence à la maison. Une étape importante à ne pas négliger. Je nettoie mes espaces de vie, je les range, mieux, je les conditionne. Le but est de minimiser mes déplacements et mes efforts pour rester le plus longtemps possible allongée. L’organisation va de la préparation des repas à l’accès direct de mes médicaments, de la télécommande et autres distractions nécessaires près de mon canapé.

 

L’opération tant attendue

Nous sommes le 9 juin 2020. Il est 4h30 du matin. Je prends une douche au savon IsoBétadine, protocole obligatoire avant l'opération. Je m’habille avec des vêtements confortables. J’arrive au centre hospitalier à 7h. J’entre au bloc opératoire à 8h30. Mon opération dure environ 1h. Je retrouve pleinement mes esprits à 13h30. Ma gynécologue passe me voir en fin de journée. Je lui pose la question fatidique : “Avez-vous trouvé de l’endométriose ?”. Elle acquiesce et m’explique avoir retiré mes ligaments utéro-sacrés, et quelques lésions dans le fond de mon vagin, sur mon rectum et sur l’uretère gauche. Elle me communique également sa satisfaction quant au stade précoce de la maladie. Je rentre chez moi le soir même. Je suis soulagée. Je ne suis pas folle. Je savais que c’était l’endométriose depuis tout ce temps. Je suis bien malade. Je souffre d’une maladie chronique pour laquelle il n’existe aucun traitement. Le combat ne fait que commencer...